Ça m'attriste profondément que le niveau de logique mathématique de base de nos concitoyens soit si faible qu'on en arrive à ce genre de raisonnement idiot dans le débat public …
Si on rend «gratuit» les transports en commun, ça implique deux choses :
Si on met de côté le cas des touristes pour l'instant et qu'on se concentre sur les franciliens : on peut les séparer en deux catégories : ceux qui ont un Pass Navigo, et ceux qui n'en ont pas. La «gratuité» des transports reviendrait alors faire payer à tous (sous forme d'impôts) ce que les premiers payent aujourd'hui seuls. Donc, pour les détenteurs actuels d'un Pass Navigo, l'augmentation d'impôt serait plus faible que le prix qu'ils payent aujourd'hui pour le pass: ils feraient donc des économies (un couple de francilien qui se rendent tous les deux en transport en commun au travail paye aujourd'hui 827.20€ chaque année pour son passe Navigo, avec 500€ d'impôt à la place, ça leur ferait 327€ d'économie). Forcément pour les autres, ceux qui ne prennent pas les transports en commun, cette augmentation d'impôt est une augmentation nette des dépenses. Mais il faut bien comprendre que ça concerne uniquement ceux qui ne prennent pas les transports en commun aujourd'hui (dont une bonne partie de l'électorat de Mme Pécresse, et des lecteurs du Figaro: ces habitants de l'Ouest Parisien qui se déplacent en voiture à Paris).
Maintenant qu'on a traité le plus gros, à savoir les franciliens, revenons sur le cas particulier des touristes, pour lequel le raisonnement précédent ne s'applique pas. Pour compenser exactement le manque à gagner des transports en communs lié à la gratuité pour les touristes: il suffit de le calculer puis de le répercuter sur l'impôt qui n'est payé que par les touristes: la taxe de séjour.
L'argument de la saturation n'est pas vraiment recevable non-plus, puisque les transports en commun sont déjà en accès illimité pour la grande majorité des usagers (ceux qui ont un Pass Navigo), la gratuité n'augmenterait pas la demande de la part des usagers actuels. La seule augmentation de demande concernerait donc ceux qui ne sont pas usagers aujourd'hui et celle-ci mérite d'être séparés en deux catégories distinctes :
Par contre, il y a un très bon argument à la non-gratuité des transports en commun: ça dissuaderait les gens de passer au vélo comme moyen de transport principal dans Paris, et ça, ça serait vraiment dommage, parce que c'est de loin le moyen de transport le plus durable (que ce soit en termes de pollution, comme en termes de santé publique) :).
Edit: la synthèse de l'étude est disponible ici et bien évidemment, comme la présidente de la région île de France, le rapport nous ressort l'argument idiot de la saturation liée au report de moyen de transport. Avec un peu plus de finesse que dans les propos de Mme Pécresse: ils notent l'évidence, à savoir la très faible absence de report modal de la voiture vers les transports en commun, mais ils inventent alors un autre type de report modal :
Au contraire, les deux tiers des déplacements à pied et un tiers des déplacements à vélo pourraient être réalisés plus rapidement en transports collectifs : le choix des modes actifs peut donc s’expliquer en partie par les prix des transports collectifs, et ces déplacements sont donc plus susceptibles d’être transférés aux transports collectifs en cas de gratuité.
Séparons les deux modes de transports qui n'ont pas grand-chose à faire ensemble de toute façon :
Premièrement, le vélo (je connais un peu :) : je ne connais pas un seul cycliste dans Paris qui échangerais son vélo contre un trajet dans un métro surchargé ! Le vélo à Paris, c'est tout sauf un moyen de transport naturel que les gens prennent pas habitude : c'est une décision consciente que les gens ont dû faire, qui implique de dépasser les barrières psychologiques (peur des voitures, crainte d'arriver luisant de sueur au boulot, «mais qu'est-ce que je vais faire de mon vélo en arrivant», etc.). Et pour ceux qui ont fait ce parcours, ça devient un élément à part entière de leur mode de vie. Ces gens-là ne referont pas le chemin inverse juste parce que le métro est devenu gratuit !
Ensuite la marche: comment je remplace le trajet maison-métro (que je fais aujourd'hui à pied), avec des transports en commun ? Et même pour ceux qui n'ont pas du tout besoin de Pass Navigo aujourd'hui, c'est quoi la proportion de gens qui font régulièrement (et aux heures de pointes nous dit le rapport) un trajet suffisamment long pour être remplaçable par un autre moyen de transport ? Et combien de ces gens sont dans la situation de faire le-dit trajet à pied plutôt qu'en transport parce que le prix est le frein principal ? Et combien de ces gens-là, en cas de transports gratuits, iraient de son plein gré s'entasser dans une ligne déjà surchargée pour faire un trajet qu'il fait aujourd'hui à pied ? On nous parle de la ligne 13 dans le rapport, vous en connaissez, vous, des gens qui prennent la ligne 13 par choix ?! Ils sont sérieux avec leurs calculs au doigt mouillé de merde ou bien ? ;)
Si quelqu'un trouve un rapport plus détaillé de l'étude en elle-même, avec les données sur lesquelles ils se sont appuyés pour leur calcul, je serai content de le lire, parce que pour l'instant je n'ai trouvé que ce petit condensé de 8 pages qui m'a un peu laissé sur ma faim …