Si tous nos soldats sont bien formés à l’usage des armes individuelles, au moins les fusils d’assaut, il y a forcément un décalage important entre une jeune recrue d'une spécialité de soutien et un fantassin vétéran. Dès lors qu’il s’agit d’aller au-delà de la simple autodéfense face à un individu isolé, entre un groupe de combat ad hoc de mécaniciens ou de transmetteurs et un groupe de combat organique et expérimenté d’infanterie, ce décalage est encore plus flagrant. Mener des combats rapprochés urbains au milieu des populations constitue le cœur de métier d’une section d’infanterie mais pas forcément celui des autres. Tous nos soldats peuvent constituer d’excellents et très coûteux vigiles, une minorité d’entre eux peuvent constituer des unités d’intervention (mais ils ne sont pas utilisés comme tels puisque dispersés).
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Les seuls terroristes que les soldats ont finalement neutralisés sont ceux qui les ont attaqués, comme à Nice le 3 février 2015, à Valence le 1er janvier 2016 et donc le 3 février dernier à Paris, au Carrousel du Louvres ((face, respectivement, aux artilleurs des 54e et 93e régiments et aux hommes du 1er Régiment de chasseurs parachutistes). On saluera, le professionnalisme dont ont fait preuve nos soldats à chaque fois, n’hésitant pas à accepter des risques supplémentaires et maîtrisant parfaitement l’emploi de leurs armes pour éviter de blesser des innocents, mais on remarquera aussi l'incohérence dans laquelle on les à placés.
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On notera d’abord, détail technique mais qui peut avoir son importance, combien la munition utilisée, la 5,56 à faible capacité d’arrêt et capable de rebondir sur les murs est délicate d’emploi dans ce contexte. Au Louvre, il aura fallu tirer plusieurs fois à bout portant pour arrêter l’agresseur, ce qui aurait pu avoir des conséquences graves, sur le soldat attaqué lui-même qui aurait pu être frappé à nouveau, et sur l’environnement, chaque coup tiré accroissant la probabilité de toucher aussi un camarade ou un civil (le seul cas à ce jour est une blessure par ricochet de balle 5,56 mm). Cette faiblesse de la munition est connue depuis des dizaines d’années, il faudrait probablement combiner l'emploi de Famas avec d'autres armes à plus forte puissance d'arrêt. Comme l’équipement de combat rapproché n’a jamais été une priorité stratégique en France, le problème demeure.
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Ceci est un point clé : celui qui veut attaquer des soldats, parfaitement visibles alors que lui-même est anonyme, aura presque toujours l’initiative. […] Pour peu qu’il dispose, non pas d’un couteau ou d’une machette, mais d’armes à feux et la parade devient beaucoup plus difficile. On peut toujours compter sur sa maladresse mais comme l’agresseur ne cherche pas forcément à fuir et à échapper à la riposte, il lui est possible de s’approcher plus près de sa cible et accroître ainsi sa probabilité de coup de but.
L’opération Sentinelle est en réalité soumise à une contradiction. Une patrouille de soldats est la preuve visible que le gouvernement « fait quelque chose » mais que ce quelque chose soit efficace est une autre question. De fait, on l'a vu, ce n’est pas efficace pour arrêter les attentats, et il n’est même pas sûr que cela ait l'effet anxiolytique tant vanté (il se peut même que cela ait aussi l'effet inverse). Pour être tactiquement un peu plus efficace dans une mission de protection de la population française, il faudrait en réalité que les soldats soient discrets et aient la capacité d’interpeller et contrôler, qu’ils soient en fait des policiers en civil. Les soldats ne sont pas des policiers et il ne faut évidemment pas qu'ils le soient. Quel est alors l’intérêt de mettre des soldats dans les rues ?
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Sentinelle est effectivement un piège mais pour nous. Sauf un improbable courage intellectuel et politique de l’exécutif en place, il faudra probablement attendre un gouvernement avec un peu de hauteur et une vraie vision stratégique avant d’en sortir.