Encore du grand Lordon. Morceaux choisis :
Il arrive parfois qu’une anecdote livre à elle seule la totalité d’une situation — en fait, tous les jours, il nous en arrive qui disent la vérité de l’époque. Voici la dernière en date : un imbécile commande une pizza sur Uber Eat ; sur le chemin le livreur est renversé ; l’imbécile se plaint de ne pas avoir reçu sa pizza et d’avoir payé pour rien ; Uber Eat répond qu’il va prendre des nouvelles de la pizza — j’exagère à peine. Au moment où, certes dans un tout autre genre, se tient le procès France Télécom, vous aurez du mal à faire passer ceci pour une péripétie regrettable mais sans signification, car, petits ou grands, ce sont les éléments cohérents d’un même tableau d’ensemble : la sollicitude pour la pizza, c’est l’époque en raccourci.
Entre défiguration des mots et aveux projectifs inconscients, votre mandat aura été comme une gigantesque performance dans le langage. Ainsi, au lendemain du 16 mars, acte il est vrai assez agité, croyant parler des « gilets jaunes », vous ne cessez de parler de vous sans même vous en rendre compte : « on ne peut s’arrêter à la tyrannie d’une irréductible minorité » (1). Mais qui ne voit que c’est au minuscule carré d’oligarques regroupés autour de vous que ce propos s’applique idéalement en fait ? Et c’est vrai : vous formez une minorité irréductible et tyrannique.
[…] Lors de votre récente conférence de presse, à propos de Benalla cette fois, vous déclarez : « Est-ce que je regrette de l’avoir embauché à l’Élysée ? Non, parce que je pense que c’était extrêmement cohérent avec les valeurs que je porte et avec ce que je veux que nous fassions ». Là encore, c’est tout vous. En effet les valeurs que vous portez, ce sont celles des nervis lâchés dans la ville pour cogner du manifestant — on vous reconnaît parfaitement.
elles se mesurent à votre score d’adhésion réelle au premier tour de la présidentielle, soit 10,5 % des inscrits. 10,5 %, ce sont vos 23 % corrigés d’un taux d’abstention de 20 % et surtout d’un taux de vote utile estimé à 45 %. Avec 10,5 % de soutien réel, vous avez raflé l’élection, et régnez sur 100 % du corps social.
Ça par contre je ne trouve pas ça très malin. Son chiffre du premier tour, 23%, c'est encore aujourd'hui la côte de popularité qu'il a dans les sondages, donc je pense que ça vaut le coup de le garder, et d'éviter de le réduire par des artifices calculatoires plus ou moins malhonnête. Surtout que ça ne change rien au constat: régner sur 100% avec moins d'un quart de la population derrière soi, c'est déjà un scandale.
Quant à la gigantesque prise d’otage du deuxième tour,
Si on pouvait laisser le point «prise d’otage» à BFMTV ou à France 2, on s'en porterai tous mieux …
Ici, néanmoins, l’imbécillité formaliste persiste : l’élection a eu lieu, l’élection est régulière, le président est légitime », répètent obstinément les éditocrates qui vous servent de laquais. J’ose espérer que la défense ne s’abaissera pas à ce pathétique argument. En 1940, l’État français avait été institué dans les formes, les pleins pouvoirs votés régulièrement, qui plus est à une majorité tout à fait satisfaisante, par conséquent la discussion devait être close. Eh bien non : les formes de la légalité n’ont jamais suffi à clore une discussion politique. C’est ce que vous semblez redécouvrir aujourd’hui : de ce que l’élection a eu lieu, il ne suit nullement que vous êtes légitime ou, si jamais vous l’avez été, que vous le demeuriez indépendamment de vos actes — la légitimité n’est pas une qualité substantielle qui se transporte, inaltérable, dans le temps. Or vos actes parlent pour vous. Ce sont les actes d’un nervi en costume de banquier.
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Vous êtes allé tellement loin, M. Macron, que vous avez réussi à rouvrir le débat du fascisme en France. Étonnante performance — une de plus : sous votre présidence, il y a désormais matière à se demander si la France n’en est pas à glisser doucement dans un proto-fascisme. Comme on sait, c’est un débat des plus délicats, qui demande d’éviter les deux écueils symétriques de voir du fascisme partout ou de le voir trop tard, la seule chose certaine étant que ceux qui trouvent la question même sans objet n’ont à l’évidence rien vu des images d’une police totalement en rupture de république, pour ne pas dire devenue complètement folle. Et je ne parle pas ici seulement des blessures de guerre, des mains arrachées ou des yeux crevés, mais de cette prolifération de violences gratuites et arbitraires, au moins aussi inquiétantes, car elles disent l’affranchissement d’un État dans l’État, ceci avec votre bénédiction, en fait même, nous le savons, avec vos encouragements — on ne nomme pas innocemment à la préfecture de police un préfet que même ses collègues décrivent comme « un fou furieux ».
Le demi-débile qui ce jour-là anime l’émission « C dans l’air » risque la puissante hypothèse du monarque jupitérien.
Là c'est un tacle à la gorge suivi d'un plaquage cathédrale.