Ça me fait toujours marrer ce genre d'article.
Le retour au franc est le pilier d'un programme économique qui prévoit, entre autres, retraite à 60 ans, maintien des 35 heures, abrogation de la loi El Khomri, préférence nationale... Jugé cataclysmique par les analystes, ce projet implique plus de 100 milliards de dépenses supplémentaires. Il amputerait le potentiel de croissance de 2 à 2,5 points de PIB et, loin de générer de l'emploi via le protectionnisme, il en détruirait près de 500.000.
Les «analystes», toujours catégoriques dans leur prévisions, diseuses de bonne aventure des temps modernes. En pratique, la prévision économique ne marche jamais, ou en tout cas, pas significativement plus souvent que si on faisait un pronostique au hasard. D'ailleurs tous les candidats aux élections sont accompagnés par des économistes qui sont tous persuadés que leur programme économique va sauver le pays tandis que celui des autres candidats va échouer. Ce simple fait devrait suffire à ramener les prévisionnistes économiques à plus d'humilité, mais non ils n'en démordent pas : leur discipline est une science et elle est capable de prédire l'avenir …
Ce que je trouve encore plus dingue c'est quand les journalistes font des raisonnements économiques de comptoirs, comme ici :
À cet égard, un retour au franc provoquerait une dévaluation instantanée de 15 à 20 %, une forte hausse de l'inflation issue des produits d'importation comme des crédits aux particuliers et aux entreprises, des menaces sur l'épargne des ménages.
Je ne sais pas d'où vient cette légende urbaine comme quoi une dévaluation entraînerai mécaniquement de l'inflation, mais en tout cas elle a la vie dure malgré les nombreux contre-exemple dans le monde réel :
La dernière période de dévaluation qui a touché la France n'est pas très vieille, elle a eu lieu entre juillet 2014 et mars 2015, l'Euro a perdu plus de 20% de sa valeur (passant de 1.36$ pour 1€ à la quasi-parité 1.06$ pour 1€). À titre personnel, j'ai été pas mal touché par cette dévaluation, parce que je vivais alors aux États-Unis avec un salaire versé en Euro, mais il n'y a eu aucun impact sur l'inflation en Europe à cette époque Source, dévaluation Source, inflation.
On pourrait me répondre que la zone Euro est une énorme zone économique, et qu'elle influe directement sur les prix (et ne se comporterai donc pas pas en «price-taker», mais en «price-setter» du fait de son poids économique), ou encore que cette dévaluation a été progressive (9 mois de déclin) et non pas brutale comme le serait un retour au Franc. Ces arguments sont pertinents et on va donc s'intéresser au cas de la Grande-Bretagne depuis le Brexit.
Là, la situation est très semblable à ce qui arriverait en cas de sortie de l'Euro par la France (dans sa chronologie au moins, les chiffres pourraient être encore plus importants dans le 2ème cas, mais la dynamique serai vraisemblablement similaire) : entre le 23 et le 24 Juin 2016, en 1 nuit la Livre Sterling perds 8% de sa valeur (de 1.49$ pour 1£ à 1.36$ pour 1£) pour se stabiliser à 12% en dessous de sa valeur initiale au bout d'un mois, puis les deux premières semaines d'octobre son cours perds encore 6% de sa valeur et se stabilise à 1.23$ pour 1£, soit 17% de dévaluation par rapport au dollar relativement à la situation d'avant Brexit (par rapport à l'Euro, la dévaluation est d'un peu plus de 10%). On est déjà dans la catégorie des grands bouleversements de cours, et tous les investisseurs étrangers ont perdu des milliards en un temps très bref : si je suis un fond d'investissement immobilier propriétaire d'un portefeuille de biens à Londres, celui-ci a perdu 17% de sa valeur en 6 mois par rapport à un investissement réalisé en dollar. Pas cool.
Voyons maintenant comment réagit l'économie britannique à ces bouleversements :
Bref, les conséquences pour les Britanniques de la dévaluation liée au Brexit ont été nulles, à l'exception du seul impact inévitable lors d'une dévaluation : le pouvoir d'achat des touristes Britanniques a l'étranger a diminué, ce qui paradoxalement risque surtout d'affecter l'économie Espagnole qui dépend beaucoup du tourisme britannique.
Alors bien sûr, pour l'instant les anglais sont encore en Europe, et je ne suis pas sûr qu'une sortie du marché unique leur réussisse beaucoup à long terme, mais c'est quand même bon de rappeler les faits pour ne pas se laisser intoxiquer le cerveau par des Madame Irma catastrophistes.
Fait intéressant, en écrivant ce billet j'ai cherché des articles qui analyseraient les conséquences du Brexit : maintenant qu'on a un an de recul sur le référendum on peut commencer à étudier ce qui s'est passé. Et à mon grand désespoir, je n'en ai trouvé aucun ! Quand je recherche «Brexit consequences» dans Google, tout ce sur quoi je tombe, ce sont des articles de l'année dernière annonçant les catastrophes à venir en cas de victoire du «Leave» au référendum, ou des articles, plus récents, prédisant le chaos qui s’abattra sur l'Angleterre lorsque la sortie de l'Europe sera entérinée, mais pas un seul «économiste» ne fait sont travail d'économiste en étudiant ce qui ce passe vraiment. Alors oui je peux comprendre que c'est plus cool de faire des prévisions sur un coin de table et d'annoncer la fin du monde avec un air sûr de soi que de se taper des litanies des chiffres d'agences de statistiques pour comprendre le monde, mais c'est ça votre travail les gars ! Vous êtes économistes ou piliers de comptoir de bar PMU ?
Edit: je précise que je n'ai aucune sympathie pour Mme Marion (dite Marine[1]) Le Pen, ni pour son «programme» qui est un ramassis de démagogie populiste. Je suis juste en rogne contre les «économistes» qui font de la pseudo-science dans les médias.
[1] oui c'est un pseudonyme, c'est ma découverte de la semaine dernière donc je fais partager.