Je ne fais pas de sport, je n’ai jamais rien cassé en manifestation, je déteste la violence.
Nous avons manifesté pacifiquement, nous avons crié nos slogans. Nous avons marché, nous avons cessé le travail. Nous avons convaincus la majorité des députés et nous avons été soutenus par l’ensemble des organisations syndicales.
Et rien. Absolument rien.
C’est faux que la violence ne mène nulle part. Toutes les grandes luttes sociales sont passées par la violence : des suffragettes aux droits civiques, des indépendances aux droits sociaux. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’elle qui puisse faire reculer la réforme, faire en sorte que 80 % des actifs soit écoutés, que la démocratie sociale soit respectée, qu’un semblant de respect de nos gouvernants soit restauré. Ou plutôt non : nous savons qu’ils n’est plus question de respect. Nous avons assez essayé pour constater que l’on se fourvoyais. Il n’y a, à dire vrai, plus ni respect ni écoute. Il ne nous reste alors que la peur. Cela ne me met pas en joie, c’est même triste à pleurer mais c’est un fait.
Cela va bien au-delà de la réforme des retraites. On pourrait la critiquer sur le fond, c’est si facile que le gouvernement n’arrive même pas à la défendre : si il n’avait pas réduit les impôts sur les sociétés de 33 % à 25 % la question ne se poserait même pas. Le sujet n’est donc pas ou plus là.
Non, le vrai problème c’est que la rue, les oppositions, la discussion, plus fondamentalement nos mots n’ont plus leur place dans l’exercice du pouvoir. Qu’importe que le gouvernement n’ai pas de majorité parlementaire, qu’importe que tous les syndicats même réformistes s’opposent à la réforme, qu’importe qu’il y ait du monde dans la rue, qu’importe les montagne de poubelles : le gouvernement n’en a cure. Il vit dans son monde et avec ses mots à lui, il n’entendra rien d’autre.
Ce niveau de mépris nous conduit à nous rendre à l’évidence. Comme le dit Lacan « le réel c’est quand on se cogne ». Peut être est-il temps que ce gouvernement soit mis face au réel et se cogne.
Ce lundi soir, à Paris, il se passait autre chose qu'une manifestation contre la réforme des retraites. Les gens ne parlait plus des retraites : ils montraient leur colère. Le slogan, hurlé à pleine voix, était : « Louis XVI on l’a décapité, Macron on peut recommencer ». Celui-ci je ne l’ai pas crié, pas cette fois, mais je sais déjà que jeudi je le ferai.
Jeudi donc, je ne sais pas à quoi cela ressemblera mais j’espère que cela ressemblera à quelque chose. J’espère qu’il y aura du feu, j’espère qu’il y aura de la casse, j’espère que la colère va s’exprimer vraiment. Pas celle de 300 jeunes qui déambulent dans Paris en brulant quelques poubelles comme ce soir. Celle d’un peuple qui demande le respect. Peut être qu’elle pourra faire naitre, chez ceux qui nous méprisent tant, de la peur. Seule cette peur, qu’ils sentiront dans leur chair, pourra faire réagir ces gens qui ne peuvent que s’écouter eux-même. C’est quand ils seront contraint d’écouter leur peur qu’ils seront conduits à écouter notre voix qu’on ne peut pas crier assez fort pour quelqu’un qui ne veut rien entendre.
Bernanos écrit : « [La peur] n’est pas belle à voir non, tantôt raillée, tantôt maudite : renoncée par tous. Et cependant, ne vous y trompez pas : elle est au chevet de chaque agonie. Elle intercède pour l’homme. »
J’ai dis que je détestais la violence. Je ne sais pas si je participerais à la casse, c’est très, peut être trop loin de moi. Cependant je la soutiendrai, au moins symboliquement : je serai en noir. J’aurai un masque et une capuche.
Peut être que je m’en tiendrai au slogan, mais je sais que si les mots ne servent à rien, il n’y a plus que ceux qui portent du noir qui peuvent vraiment porter ma voix. Et je me dis que si on est tous en noir, même si nous ne sommes pas violents, peut être que le message sera, paradoxalement, plus clair ; peut être qu'il fera peur. Peut être également que ceux qui, eux, agissent en noir seront plus à l’abri. Et, allez savoir, peut être que cette fois, ou peut être que la suivante, je les rejoindrai. A partir de jeudi, j’y serai prêt. Ma tenue en témoignera.
Son cheminement me fait un peu penser au mien.
J'ai toujours détesté les casseurs, qui faisait pour moi le jeu du gouvernement en salissant la mobilisation de milliers de personnes qui manifestaient pacifiquement dans le respect du jeu démocratique. Par ailleurs je ne suis pas franchement du genre à manifester, et encore moins à chercher les ennuis avec la police.
Et un jour, le deuxième samedi des gilets jaunes, je me suis retrouvé, aux abords de la manif par accident, en sortant d'un magasin. Cette manif ne ressemblait à aucune autre, ni cortège, ni slogan ni pancarte, alors j'ai voulu en voir d'avantage et je suis allé sur les Champs.
Je me souviens très bien avoir engueulé un mec en noir, en train de foutre le feu à l'auvent d'une terrasse de café, et de me désoler de tous ses conards en noir «juste venu la foutre le bordel», le «degré zéro de la politique».
Puis il y a eu les grenades, le gaz, et la nasse: c'était la première fois que j'étais dans une manif avec le sentiment que la police était là, non pas pour éviter les débordements et maintenir l'ordre, mais pour faire peur aux manifestants et les dissuader d'exercer leurs droits.
Puis il y a eu les images, pendant des mois sur Twitter: l'attaque du Mc Do, le commandant de police qui à Toulon se défoule sur un homme arrêté (sa gestion des gilets jaunes lui vaudra d'ailleurs la légion d'honneur), l'énucléation gratuite de Jérôme Rodrigue, et j'en oublie des dizaines. Le tout dans un silence médiatique insoutenable, BFM et les autres ayant beaucoup plus de compassion pour les vitrines que pour les mutilés, et donnant la parole à des illuminés appelant l'armée à tirer dans le tas à balles réelles.
Je n'irais toujours pas casser des trucs, mais après ça je n'ai plus du tout le même regard sur ceux qui le font.