Ça fait 3 jours que j'ai vu passer ce thread, et je ne m'en suis toujours pas remis.
Un post idiot sur Twitter en parlant d'économie, y'en a plein, et notamment sur le fil twitter de @ordrespontane (rien que le nom, référence à Friedrich Hayek est un indice sur l'orientation politique de ce monsieur). Mais là c'est particulier: ce n'est pas juste malhonnêtement orienté, c'est juste complètement faux et ça montre que l'auteur n'a aucune idée de ce dont il parle. Et c'est quand même assez emmerdant, parce que ce monsieur est prof de finance (bon OK c'est dans une école de commerce privée médiocre mais quand même !).
Reprenons le premier tweet:
51% de la base monétaire du dollar US est constitué des réserves que les banques détiennent à la Fed (1.7 trillions)
Première énorme erreur, qui entraîne en fait toute la suite: une traduction complètement erronée du mot anglais “reserve”. Dans ce contexte (on parle de monnaie), le mot “reserve” ne se traduit pas du tout par «réserve» (une quantité que l'on garde en prévision) mais par «monnaie centrale». Ça n'a rien à voir, et le nom “reserve” vient du nom de la banque centrale américaine “Federal reserve”. C'est une erreur grossière et hallucinante, c'est quasiment comme si un Américain traduisait «Euro» par «championnat Européen de football».
Et du coup, la conclusion est complètement fausse :
Donc, des banques européennes ont stocké des quantités phénoménales de dollars dans leurs filiales US et placent ça sous forme de réserves excédentaires auprès de la Fed.
Ce qui s'est vraiment passé, c'est que la Fed (la banque centrale américaine) a mené à la suite trois de ce qui s'appelle des programmes de rachat d'actif (aussi appelés “Quantitative Easing“)[1], le dernier ayant duré jusqu'à fin 2014 pour un montant total de 1600 milliards de dollar. Et c'est ça qu'on voit sur la courbe qui monte en trois phases puis redescend[2] progressivement sur la fin (à partir de 2015 donc). Les filiales américaines de banques européennes sont logiquement aussi incluses dans les programmes, et à ce titre elles ont elles aussi cédé des titres de créances en échange de monnaie centrale américaine.
Il y a plein de choses à dire sur le “Quantitative Easing“ et sur l'ensemble des politiques économiques qui ont été mises en œuvre au niveau mondial après la crise, notamment sur le fait qu'elles n'en tirent pas du tout les leçons ou encore qu'elles ont essentiellement contribué à accentuer un phénomène de concentration des richesses qui était déjà à l'œuvre depuis plusieurs décennies. Mais raconter des âneries pareilles en faisant croire que les banques stockent auprès de la Fed l'argent qu'on leur a donné au titre des plans de sauvetage, ou pire, ce qu'il dit dans son dernier tweet quand il parle d'“Euro carry trade”, que les banques européennes empruntent à 0% en Euro pour ensuite stocker cet argent à la Fed, c'est juste atterrant !
[1] C'est quoi un programme de rachat d'actif ? C'est une manœuvre d'une banque centrale (toujours à l'œuvre en zone Euro par ailleurs) qui consiste à échanger des actifs peu liquides[3] (essentiellement des titres de dettes, notamment des crédits immobiliers) contre de la monnaie de banque centrale (qui est, par définition, infiniment liquide) pour augmenter la liquidité des banques et les inciter à prêter. Pour rappel, à la suite la faillite de Lehman Brothers en 2008, le monde a connu une crise économique causé justement par la crainte des banques de prêter de l'argent[4], de peur de se retrouver sans liquidité (entraînant la faillite instantanée). En injectant des liquidités, la banque centrale, garantie donc aux banques qu'elles ne feront pas faillite par manque de liquidité quoi qu'il arrive, et les encourage donc à continuer à prêter (permettant au monde financier de reprendre ces affaires comme avant, mais ceci est une autre histoire).
[2] La redescente est liée au fait que les crédits sont progressivement remboursés, ce qui réduit la taille du bilan de la Fed.
[3] Un actif est dit «liquide» s'il est facile et rapide à échanger contre un autre. Par exemple, l'«argent liquide» est justement très liquide, vous pouvez très facilement acheter tout ce que vous voulez avec. Une maison par contre, c'est un actif peu liquide, ça met du temps à se vendre. Idem pour une action, qui peut être difficile à écouler à son véritable prix dans certain cas (c'est pour ça qu'il arrive que des entreprises aient une valorisation boursière plus faible que la valeur de son immobilier, parce que les détenteurs d'action ont besoin de liquidité tout de suite, et qu'ils sont prêts à vendre bien en dessous de sa valeur). Dans la majorité des cas la liquidité d'un actif dépend énormément de l'état du marché, et des actifs autrefois très liquide peuvent se retrouver illiquide si la situation dérape. Et c'est justement contre ce genre de situation que les plans de rachats d'actifs interviennent.
[4] Lorsque les banques ne prêtent plus, il se produit alors un phénomène dit de “de−leveraging” : la quantité de monnaie disponible dans l'économie diminue[5], ce qui provoque une crise économique.
[5] Pour rappel, dans nos économies modernes ce sont les crédits bancaires qui assurent la création monétaire, c'est plus ou moins le cas depuis la naissance du capitalisme a la renaissance (c'est d'ailleurs un des éléments constitutifs du capitalisme) et c'est le seul moyen utilisé en pratique dans les pays occidentaux depuis plusieurs décennies.