Cette histoire des musulmans devant rester discrets, ça me fait penser à un truc trouvé dans mes recherches pour mon master puis doctorat.
Je bosse sur les transatlantiques du début du XXe siècle, sujet pas forcément super politique en apparence.
Mais qui dit début du XXe siècle dit années 1930, donc antisémitisme, "heures sombres de notre histoire", tout ça.
En bossant sur le paquebot Normandie (1935), j'ai ainsi découvert un truc intéressant dans les rapports de voyage du navire.
Le paquebot voulait attirer la clientèle juive, mais y'avait un antisémitisme latent en France assez énorme. Pas besoin de faire un dessin.
Mais bon, y'avait un marché, donc ils ont sorti le grand jeu : cuisine, cuisiniers et vaisselle kasher ; mais aussi mobilier rituel.
Souci, ils avaient oublié de prévoir un local. Du coup, ils ont installé le mobilier provisoirement dans la salle à manger des enfants.
Salle à manger décorée par Jean de Brunhoff, le papa de Babar, avec des petits éléphants partout qui jouent. Et au milieu, donc, la Torah.
Les Juifs ont pris ça avec philosophie, comme solution temporaire. Mais les parents ont pas aimé. Pas du tout.
On l'a donc déplacé en classe touriste, puis en 3e classe pour, selon le commissaire de bord, "limiter l'invasion des Juifs en 1e classe".
Oui, il parlait bien "d'invasion des passagers israélites", un peu comme avec des cafards où des barbares.
Bref, finalement, au bout de quelques mois, une vraie synagogue fut créée, avec l'aide d'un rabbin, et les Juifs étaient super contents.
Le commissaire de bord, par contre, s'inquiétait : si on faisait trop de pub là-dessus, ça attirerait une mauvaise réputation.
On pourrait croire que le Normandie est "le navire où les Israélites [...] se considéreraient comme chez eux." Brrr, ça fait peur !
Et encore, là, c'est la version courte : il en fait tout un paragraphe pour expliquer pourquoi ça serait vraiment mauvais commercialement.
Je sais pas ce qu'est devenu ce gars-là, mais c'était pas fondamentalement un connard. Il était même très apprécié.
Par contre, il connaissait son taf, et SAVAIT que ça allait, réellement, attirer une sale réputation à la compagnie.
Lui, était peut-être un connard antisémite, mais surtout, il savait que la société dans son ensemble l'était. Et ça, c'est plus gênant.
C'était les années 1930, mais est-ce qu'aujourd'hui, on a pas le même genre de réaction quand Quick fait du halal ?
Je rappelle, hein, à chaque fois, il s'agit de dispositions facultatives proposées par des entreprises privées.
Y'avait pas circoncision obligatoire et bouffe kasher de force à bord. C'était juste une possibilité, pour les clients qui le voulaient.
A ce que je sache aussi, y'a pas eu de "pente glissante", 80 ans après, j'ai pas perdu le bout de ma knacki à cause du lobby juif.
Mais aujourd'hui, on laisse croire que si on accepte que des femmes aient le choix, alors bientôt, ce choix nous sera imposé.
Alors qu'en fait, bah y'a encore moins de risques de voir en France une "dictature islamique" qu'une "République juive" dans les années 1930
En 35, on était à un an de Blum au pouvoir ; on verra pas de Musulman 1er ministre avant quelques temps.
Bref, tous ces parents flippés de voir une étoile de David à côté de Babar, c'est pareil que ceux qui trippent sur le burkini.
La plupart ont probablement pas dénoncé leur voisin juif quelques années plus tard. Certains en ont certainement sauvé, même.
N'empêche : en adhérant, pour X ou Y raisons à ces clichés, ils ont favorisé le climat qui a créé le pire.
Je suis sûr que plein flippaient pour la laïcité à cause de la synagogue, mais gueulaient pas contre l'immense chapelle du Normandie.
Aujourd'hui, en prime, l'affaire du Burkini se double de deux trucs qu'il y avait pas à l'époque. D'abord, le côté pseudo émancipateur.
Parce que oui, si on force des femmes à se déshabiller sur les plages ces jours ci, c'est pour les émanciper.
D'autre part, plus encore qu'à l'époque, la classe politique utilise ça à tout bout de champ pour faire diversion sur ses propres failles.
Bref, on en arrivera pas forcément au génocide. Mais on a DEJA franchi la ligne rouge en réalité. Y'a DEJA des stigmatisations intolérables.
Et tant pis si ça fait de moi un "bobo gauchiste pro islam" pour qui "le choc sera dur" comme on me l'a encore dit en commentaire. :D
Sur ce, je retourne à ma thèse, mais si j'ai le temps, je vous ferai un billet de blog avec les citations complètes.