[L]a chercheuse américaine Roberta Wohlstetter apporte un éclairage intéressant.
Dans ses travaux pionniers sur l’attaque surprise de la base américaine de Pearl Harbor par les japonais le 7 décembre 1941, […] . En effet, la marine américaine avait déchiffré les codes de la marine japonaise.
Elle disposait donc de signaux massifs sous la forme de conversations des amiraux japonais. Mais elle trouvait l’hypothèse d’une attaque de Pearl Harbor tellement absurde qu’elle a refusé de l’envisager.
Un exercice sur ce thème au printemps 1941 a même été refusé. Même si cela a alimenté les théories conspirationnistes depuis, lorsqu’on regarde une carte, on voit combien l’entreprise japonaise était folle : Pearl Harbour se trouve en effet à plus de 6.300 kilomètres du Japon et lancer une armada aussi loin de ses bases amenait à l’extrême limite du faisable les technologies dont disposait à l’époque les japonais. Objectivement c’est une folie.
La marine américaine base donc son refus d’envisager une telle attaque sur deux hypothèses fortes qui semblent tout à fait raisonnables à l’époque : d’une part sur l’impossibilité technique, et d’autre part sur le fait qu’il semble suicidaire qu’un petit pays comme le Japon se sente capable d’attaquer un pays aussi puissant que les États-Unis.
Nous interprétons donc le monde à partir d’hypothèses (mais aussi de croyances et de valeurs) et ce sont elles qui guident notre travail de compréhension du monde. Le spécialiste de la connaissance Haridimos Tsoukas écrit ainsi : « Comprendre présuppose l’existence d’un point d’Archimède, un point de vue à partir duquel le monde peut être considéré, pris en compte, et interprété. »
Les hypothèses fournissent précisément ce point d’Archimède. Peter Drucker, l’un des plus grands auteurs en management, écrivait ainsi : « Les dirigeants qui prennent des décisions efficaces savent qu’on ne commence pas par les faits. On commence par des hypothèses… Commencer avec les faits est impossible. Il n’y a pas de fait à moins que l’on ait un critère de pertinence. »
On ne peut donc distinguer les signaux utiles du bruit qu’au moyen d’hypothèses, et celles-ci doivent être explicitées et rediscutées régulièrement à la lumière de faits nouveaux.
Ce point là est particulièrement pertinent !